Le monde étrange d'Aloys Alzheimer
Et sont arrivées les vacances de Pâques. Voir nos petites-filles. Nous voilà repartis pour plus de 800km, en deux étapes.
Mon mantra : "Tout gérer, tout prévoir, tout organiser, tout contrôler"... Rude voyage. En plus de la conduite, il me fallait veiller sur JM : ses lunettes, son sac, sa veste, son écharpe, sa fatigue.... La routine quoi. Il était épuisé. A l'arrivée, il m'a dit "C'est la dernière fois que je fais le voyage !". Oups !
Notre fille et son compagnon nous ont à nouveau proposé de venir nous installer dans leur région. Jusque là, cette idée m'avait parue incongrue. Déménager, se déraciner totalement... Je ne savais pas comment je réagirais. Je ne savais pas comment JM réagirait. Mais à ce moment précis, l'idée semblait moins incongrue. Car ma hantise devenait :
Nos deux fils vivent en région parisienne. Je n'avais pas envie d'y retourner. Presque 3 heures de route pour arriver jusqu'à nous. Donc, l'urgence n'était pas vraiment assurée.
Je reviens sur la phrase d'E. "Il pourra venir chez nous". Je pressentais déjà que cette proposition, pleine de gentillesse, de bonne volonté, ne pouvait pas être une solution pérenne. Une semaine, au mieux un mois, mais pas plus.
D'une part, cela signifie transférer JM dans un maison certes aimante, mais cela signifie aussi le couper de tous ses repères, de ses outils, qui représentent tant de choses, de ses "habitudes", devenues si importantes. Cela signifie le laisser seul dans une maison, et devant une télévision qu'il n'arrivera pas à allumer - la galère des deux télécommandes...
Cela signifie contraindre nos fils et leurs familles à modifier les vies, à prendre en compte quelqu'un qui parfois est parfaitement lucide, et parfois totalement désorienté.
Déménager pour nous rapprocher de la région parisienne, financièrement, c'était impossible.
L'idée de déménager près de notre fille a fait son chemin. S'installer pas trop loin, pour assurer l'urgence en cas de besoin. Dans le brouillard dans lequel je me trouvais, c'était une lueur d'espoir. Cela ne résoudrait pas la nécessité de trouver une solution pour JM s'il m'arrivait quelque chose de grave. Mais au quotidien, cela pouvait nous aider.
Sans vraiment mesurer la portée de la décision, nous avons convenu avec JM que cela serait une solution. Une opportunité de changer de vie, de démarrer "autre chose". Je savais aussi que cela signifiait de nous éloigner de nos fils, de nos petits-fils. Je pense qu'ils ont trouvé surprenant, voire dérangeant, notre décision. L'impression de les abandonner un peu... Drôle de dilemme, pas vraiment agréable. C'est pourtant un choix que j'assume, même avec un pincement au cœur. Dans cette décision, j'ai volontairement placé JM au centre de mes préoccupations. Pensant que moi aussi je vieillissais, que j'avais besoin d'un soutien plus actif. Pensant que nos enfants "parisiens" sont jeunes, que nos petits-enfants seraient bientôt autonomes pour venir nous voir s'ils le souhaitent. L'avenir me dira si ce raisonnement était le bon.
A cette époque, j'ai pris contact avec un groupe sur Facebook. J'ai été bien accueillie, mais j'ai été épouvantée par les récits que je lisais. Il s'agissait, pour la plupart des membres d'enfants s'occupant de leur(s) parent(s) malades. D'enfants devenus des "aidants captifs", obligés de modifier totalement leur vie, obligés de mettre leurs vies entre parenthèses, pour assumer au quotidien leur rôle d'aidants. Et cela m'a terrorisée. J'ai quitté le groupe assez vite, après avoir lu un récit où il était question de couteaux et de lames de rasoir cachés dans la maison... J'ai trouvé un autre groupe, beaucoup plus calme, où ne se retrouvent que des conjoints d'Alzheimer. J'y trouve des réponses, des idées, des encouragements...
Un jour, en réponse à un de mes messages, j'ai lu "Vous avez de la chance !". Je suis restée bouche bée. De la chance ! Mais la suite du message expliquait : "Votre mari a 85 ans. Le mien va avoir 60 ans. Vous avez une chance que je n'ai pas : 25 ans de vie sans la maladie..., ce que je connaîtrais pas". Petit électrochoc, mais c'est vrai. Les "jeunes" Alzheimer sont peu connus. On pense toujours aux personnes âgées. Mais Alzheimer autour de 60 ans (voire moins) n'est pas rare. De plus, ces "jeunes" malades développent la maladie beaucoup plus rapidement que les malades âgés, et la fin terrible arrive assez vite. Souvent, les conjoint(e)s travaillent encore, et leur situation est vraiment difficile.
Autre chance : notre différence d'âge : 14 ans. C'est vraiment important, car si j'avais le même âge que JM, je ne suis pas certaine d'être en capacité de "tout gérer, tout prévoir, tout organiser, tout contrôler"....
Sur le chemin de retour de ce "dernier" voyage, l'idée s'est ancrée. Nous allions partir, quitter notre Normandie, pour démarrer une nouvelle vie dans le Gers.
Nous étions en avril 2023. J'allais découvrir ce que signifiait réellement ce "grand" déménagement.
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