17 août 2024 : J'ai de la chance. JM et ses activités

17.08.2024

Je repense à cette phrase d'une correspondante :"Vous avez de la chance".

C'est vrai, j'ai, nous avons de la chance que la maladie produise ses effets alors que JM a plus de 85 ans. Nous avons de la chance que je sois plus jeune que lui, et que je puisse faire face.

En regardant en arrière, je comprends que la maladie était présente depuis longtemps. En sourdine, avançant à petits pas. Je sais que je n'ai pas compris - mais je ne m'en veux pas. Qui aurait pu comprendre ? Les médecins ne disaient rien, mais la rapidité avec laquelle son médecin traitant a monté le dossier ALD (Affection Longue Durée pour la Sécurité Sociale, avec comme motif "Troubles cognitifs") et mis en place le premier rendez-vous avec un spécialiste "Mémoire" me permet de penser qu'il avait détecté le problème. Ses copains d'avion me disaient "Il a beaucoup vieilli". Mais cela s'arrêtait là.

Et les problèmes auxquels je fais face sont relativement anodins, par rapport aux récits que je peux lire. Aucun problème d'agressivité, aucune colère, aucune insulte, aucune menace... Je dois gérer les vêtements, les douches, mais il peut encore faire seul, sans aide extérieure. A condition que tout soit à portée de main.

Juste un détachement progressif de tout ce qui n'est pas "Lui". Il n'est pas devenu égoïste. Il a juste du mal à situer les membres de notre famille, nos enfants, nos petits-enfants, et moi dans son univers. Et nous allons tellement vite par rapport à lui !

Je dois tout gérer, de la déclaration d'impôts aux relations avec la banque, de l'entretien du jardin à celui de la voiture, des repas à tout ce qui concerne la maison et le linge, de la fuite d'eau au robinet aux relations avec les fournisseurs d'eau, d'électricité ou d'internet..... Gérer les comptes bancaires, prendre des décisions. Décider où nous allons habiter. Décider le changement de voiture. Toujours... Je lui en parle, mais en définitive, je décide. Avec toujours une question : "Ai-je raison de prendre cette décision ?". Il y a cinquante ans que nous vivons ensemble. Aujourd'hui, je décide seule, et ça, c'est vraiment difficile : parler, partager, être d'accord, ou s'eng... parce qu'on n'est pas d'accord... Terminé, cela n'existe plus pour nous. Par moment, je sens qu'il voudrait faire une proposition, ou m'expliquer pourquoi il n'est pas d'accord. Mais il s'embrouille, ses yeux s'embuent, il renonce... Il sait qu'il renonce, et cela le rend malheureux. Je l'incite à parler, à expliquer, mais le plus souvent, il renonce.

Nous somme en août, et j'attends avec un peu d'impatience septembre, pour trouver des associations, type "Club des aînés", "Gym douce"... J'attends aussi qu'il fasse un peu moins chaud, car nous avons été obligés de réduire les balades....

Je sais que mes récits doivent faire sourire ou décontenancer ceux et celles qui sont confrontés à des situations beaucoup plus difficiles. Si je poursuis ces récits, c'est qu'ils sont une nécessité pour moi. Une façon de poser les choses, de faire le point. De prendre un peu de recul. De réaliser que tout cela n'est pas si grave, De bien ancrer dans ma tête que rien ne redeviendra "comme avant", sans pour autant en faire une montagne. Ce n'est qu'une colline... Même si parfois la colline semble se transformer en sommet infranchissable, ce n'est aujourd'hui qu'une colline...

Je réalise que j'ai les pleins pouvoirs sur mon mari... Or, cela ne rentre pas dans mon schéma mental, cela ne colle pas avec ce que je suis, avec mes valeurs, avec mon amour et mon respect pour ce qu'il est. C'est sans doute ce qui pour moi est le plus perturbant.

Il n'y a pas très longtemps que j'ai réalisé que je devais aussi gérer ses loisirs, ses activités. Et ça, c'est une découverte. "Avant", il s'occupait seul, il avait toujours quelque chose à faire. Aujourd'hui, je dois lui proposer des activités. Il a commencé par des puzzles en bois en 3D. Mais pas n'importe lesquels : ceux qui ont un mécanisme et font monter et descendre des billes ! Il a épuisé toute la collection de la boutique où nous les avons trouvés. En plus, ces constructions prennent beaucoup de place. J'avoue avoir un peu forcé la main à nos enfants et petits-enfants pour qu'ils emportent un souvenir de Papy, et ainsi dégager un peu de place...

Puis il a découvert les coloriages au numéro. Jamais je n'aurais osé lui proposé cette activité. Il l'a choisi seul lors d'une visite dans un magasin. Il est impressionnant de précision. Et comme a dit une de nos petites filles, en examinant de près un des dessins : "Y'a rien qui dépasse, mais alors rien ! ". Des puzzles qu'il fait à une condition : ne pas regarder l'image initiale... Et maintenant, il se lance dans la réalisation de "Peinture-diamant", le truc qui me rendrait complètement folle.... Pour ce qui est de la machine à découpe informatisée, il a réalisé des petits canards qu'il a fièrement offert à une de ses petites filles, car le jaune est sa couleur fétiche. Petits canards bien loin de ses anciennes réalisations, mais il a réussi à remettre la machine en route, après plus d'un an d'abandon. Il a d'autres projets, mais l'atelier est beaucoup trop chaud, il faut attendre un peu.

Je suis fascinée par sa capacité à passer des heures entières à réaliser ces activités. Il fait des pauses, mais y passe beaucoup de temps.

Je suis fascinée par sa capacité à tout mettre en œuvre pour atteindre son objectif : réunir le matériel (que je recherche quand j'ai compris ce qu'il cherche), réfléchir à la façon de faire, et faire de façon si minutieuse. Alors qu'au quotidien... Il ne retrouve plus son pyjama, toujours rangé au même endroit... Il ne sort plus seul car il se perd... Il fait deux fois la même chose à quelques minutes d'intervalle, ou oublie ce qu'il devait faire au bout de quelques minutes.... Il ne sait plus se servir d'un téléphone portable. Il n'arrive plus à allumer la télévision, et si une émission l'ennuie, il zappe, sans savoir où il va, et en trifouillant toutes les touches de la télécommande, ce qui m'oblige parfois à passer une bonne heure à tout remettre en ordre. Il est coupé de tout le réel quotidien : argent, voiture, assurances, rendez-vous médicaux...

Mais il reste un Technicien. Et un technicien de haut vol, si l'activité lui plaît. Je suis fascinée par cette double personnalité, induite par la maladie...

Ses réalisations :