Le monde étrange d'Aloys Alzheimer
Je pense que je ne m'y habituerais jamais. C'est sans doute une bonne chose. Il ne faut pas que je m'habitue.
Voir mon mari fondre en larmes, non, éclater en sanglots, je ne m'y habitue pas.
C'est toujours à un moment où je m'y attends le moins.
Il y a quelques jours, il était devant son ordinateur, et il a fondu en larmes. J'ai pensé qu'il y avait un problème avec l'ordi, et je l'ai rejoint. Mais l'ordi était éteint.
J'ai répété le même rituel. Le prendre dans mes bras, lui demander ce qu'il se passe.
Comme à chaque fois, il tente de m'expliquer, mais au milieu des sanglots, je ne comprends pas tout ce qu'il dit. Cette fois là, j'ai compris deux mots : "fêtes" et "famille".
Les fêtes de fin d'année approchent, et nous avons compris que nous ne verrions pas toute la famille, c'est à dire tous nos enfants.
Il n'a pas de difficultés particulières à parler, s'il prend le temps de parler doucement, et si je prends le temps de l'écouter attentivement. Mais il n'a jamais été homme à parler de ses sentiments. "Avant", de temps en temps, il balançait une phrase, jamais plus, qui révélait ce qu'il ressentait, et nous en parlions. "Aujourd'hui", quand tout déborde, il pleure.
Ses sanglots sont l'expression de son mal-être, de son sentiment de partir à la dérive, de ne plus rien maîtriser. L'expression de son angoisse. Une phrase "Je suis en fin de vie", au détour d'un sanglot. Une autre "J'en ai marre de la vie".
Petit à petit, sans que sa santé se dégrade, sa qualité de vie se détériore. Il marche de moins en moins. Il se fatigue très vite. Alors, de façon presque obsessionnelle, il se lance dans ses activités : coloriages, puzzles en 2D et en 3D, Diamond Painting. Je lui réserve quelques tâches "domestiques". Mettre et débarrasser la table. Eplucher les pommes de terre : il adore ça. Je pense que nous n'avons jamais mangé autant de pommes de terre !
Une phrase qui m'a frappée. Il faut changer un robinet. Et "Ce n'est pas moi qui le changerait". Phrase banale, mais pour la première fois, il a dit clairement que ce qui n'était qu'une formalité était devenue impossible pour lui.
Je ne m'habitue pas à ses crises de larmes. A chaque fois, je suis bouleversée, et nous terminons tous les deux en larmes.
Par contre, je gère bien mieux mes réactions trop vives. L'ordi, encore lui ! Cette fois il est allumé, mais JM s'énerve, car il n'arrive pas à faire ce qu'il veut. Je m'approche en lui proposant de regarder ce qui ne va pas. "Non, c'est pas la peine, je vais tout éteindre, ça m'énerve". "Avant, j'aurais insisté, mais je n'insiste pas, alors que j'ai vu tout de suite ce qui clochait. Il éteint l'ordi. "Voilà, c'est fait, je passe à autre chose." Et il reprend son Diamant Painting.
Il suit l'actualité. Un peu l'actualité politique. Sans tout comprendre (mais honnêtement, en ce moment...). Notre Dame l'a fascinée. Le travail des charpentier, celui des différents restaurateurs. Et surtout un reportage que nous avons vu, sur les monteurs d'échafaudage. Ses yeux pétillaient. Il s'imaginait au milieu de cet incroyable "jeu de construction" grandeur nature. "Au moins, dans une prochaine vie, tu sauras quel métier choisir". "Oui, c'est passionnant !".
Dans une prochaine vie....
&&&&&
Vous pouvez retrouver ces articles sur la page Facebook, site miroir de ce blog, accès libre et gratuit.
